Trois strophes sur le nom de Sacher

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Trois strophes sur le nom de Sacher

A woman returns home alone in the late evening, picks up her cello and, breaking the silence of the night, plays Trois strophes sur le nom de Sacher by Henri Dutilleux. In the background, in a flat on the other side of the street, the neighbours offer snippets of their stories that our imaginations like to reinvent.

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« Le dispositif des Trois dernières sonates de Schubert contraste par sa simplicité avec celui des Trois strophes sur le nom de Paul Sacher, l'autre film de musique tourné par Chantal Akerman en I989. Dans celui-ci, consacré à l'interprétation au violoncelle par Sonia Wieder-Atherton des trois pièces pour cet instrument écrites par Henri Dutilleux en hommage au grand chef d'orchestre, fondateur d'ensembles et mécène Paul Sacher, la scénographie évoque lointainement Fenêtre sur cour. Sous un éclairage accusé et dans un bain de vives couleurs contrastantes, on voit la musicienne entrer dans une vaste pièce délimitée au fond par un grand rideau rouge, prendre son instrument avant de s'asseoir face à nous et de commencer à jouer, tournant le dos à un bâtiment dont il ne nous est pas caché qu'il est un décor. À travers les fenêtres « d'en face », on voit dans des appartements mitoyens une femme, deux hommes, plus tard une autre femme, parfois seuls et le restant, d'autres fois ensemble, occupés à des activités domestiques ou intimes: repasser, se raser ou se coiffer, refuser le contact d'un amant, déambuler, rester en arrêt, se croiser... Les gestes sont stylisés, les mouvements ébauchent une chorégraphie, des actions commencent sans jamais se poursuivre. Au début et à la fin de ce film court (une dizaine de minutes), les appartements mitoyens (il s'agit peut-être seulement de pièces séparées) sont vides ou le redeviennent. Des mouvements de caméra rapprochent ou éloignent de la soliste, filmée selon différentes grosseurs de plans et indifférente durant l'exécution musicale des trois « strophes » à ce qui se trame dans son dos. On ne saisit pas nécessairement, si tant est qu'une disjonction complète n'ait pas été voulue par la réalisatrice, quelles correspondances se tissent entre l'interprétation des trois « strophes » et les fictions naissantes. »

Jean Narboni1

 

« Chantal Ackermann a rencontré cette oeuvre en m'entendant la jouer et elle a été tout de suite complètement captivée. Chantal n'est pas quelqu'un qui a une connaissance de la musique classique ou contemporaine particulière, mais son sens absolument sûr de là où il y a quelque chose de génial l'aa amenée là, direct. Et elle a dit, ça j'aimerais filmer. Je vois ces trois univers par le lien qui les unit, par le contraste qu'il y a entre les trois, par l'évolution. Je dirais que c'est comme un chemin de vie qui se fait, en fait. Comme presque une recherche du son et de ce qui va pouvoir être vos instruments dans la vie, le premier mouvement, la première strophe. Comme si on... Presque une découverte innocente, pas enfantine, innocente, de quelqu'un qui ne sait pas encore, qui découvre qu'un ricochet, ça peut être ça, et c'est tellement beau, qui n'a pas de jugement sur ce qu'il fait, la première strophe. Et puis la deuxième est d'un chant profond, donc le chant profond c'est quelque chose qui vient de très très loin. Et la troisième est une explosion d'énergie, de force de vie. Je pense qu'elle a senti la puissance rythmique, l'économie extrêmement concentrée qui, une fois que c'est interprété, explose comme une presque une cellule et qui dégage comme ça une force, mais pas directement, pas en disant voilà. Et ça, je sais que Chantal, c'est son univers d'expression, c'est la retenue, mais une retenue concentrée comme le chaos du monde qui est encore en état de chaos, mais une fois qu'il s'ouvre, c'est le monde entier. »

Dutillleux 20162

 

« Chantal Akerman met en scène avec précision ce contrepoint, souligné par les éclairages, entre l'intimité de la musicienne et la vie extérieure. Tournant dans un théâtre, elle utilise l'épaisseur poétique et évocatrice du silence de la scène; ainsi, la musique de Dutilleux s'empare de la nuit et plie le temps à sa mesure. La première strophe, interrogative, évoque l'heure désenchantée, un peu lasse, du soir. Dans la deuxième, plus lyrique, la caméra se resserre sur la violoncelliste et suspend la nuit au-dessus de sa rêverie. Tandis que le jour se lève, la troisième strophe se fait plus véhémente, plus fiévreuse, et la réalité reprend ses droits. »

Guillaume Courcier3

  • 1Jean Narboni, "Les Trois Dernières Sonates de Schubert," dans Chantal Akerman: Autoportrait en cinéaste (Paris: Éditions du Centre Georges Pompidou/Editions Cahiers du cinéma, 2004), 204.
  • 2Dutillleux 2016, "Entretien avec Sonia Wieder-Atherton #Dutilleux2016," Dutilleux 2016, uploaded 28 octobre 2016, YouTube vidéo.
  • 3Guillaume Courcier, CNC.
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