“In Anne-Marie Miéville’s film, little Marie locks herself in her little girl’s mystery – in her books, music, dance – and so refuses to be scarred by what she is going through. In Jean-Luc Godard’s film Je vous salue, Marie, it is because she [his Marie] has been scarred that she’s unique, that she has the strength to retreat to her mystery, to look after it, to protect it against the attacks of men. One Marie reluctantly discovers the misery and breakdown of a lifetime, the other is touched by a unique grace in her body that protects her against that unhappiness. If these two films form a programme, it is by completely inverting the themes they have in common. Will the spectator recognize the same landscape in the white, physical light of the one and in the black, metaphysical light of the other?”
Alain Bergala1
“Cinema is definitely not the universal language of sense. But it always includes a reference to the language it’s not. It’s not the illustration in images of a theatre or novel storyline. But it houses its own figures in the patterns of their storylines. It composes its tropes with and against those of poetic speech. The contrepied which contrasts Marie’s upstanding legs with her mother’s loving words defines a figure specific to cinema, a combination/confrontation of speech and gesture, of the visible and the sayable, of sense and nonsense that theatre doesn’t allow. But its efficiency also has to do with the way in which Marie’s flight or insolence operates as a third party within — and makes the inherent power of cinema operate within — the long history of the battle of sexes shaped by theatre. And the insolent response of straight legs to words of worry recovers the power of tragic stichomythia, in aid of the small family chronicle. Marie/Alice is also Marie/Electra.
Cinematographic dissensus is therefore more than the critical confrontation of speech and image. It is the mode in which cinema detaches its own figures from the vast expanse of familial or societal histories and of metaphors of battle, love or indifference. The contrepied that Marie’s “cinema” makes to the words of the family chronicle can, therefore, be brought closer to those figures of detachment through which filmmakers have managed to accomplish the powers of the romantic story by opposing them.”
Jacques Rancière2
« Dans le film d’Anne-Marie Miéville, la petite Marie s’enferme dans son mystère de petite fille, dans son livre, dans la musique, dans la danse, pour refuser d’être marquée par ce qu’elle tra- verse. Dans le film de Jean-Luc Godard,3 c’est parce qu’elle a reçu la marque qui en fait l’Unique que Marie a la force de se replier sur son mystère, de veiller sur lui, de le protéger contre les assauts des hommes. L’une apprend à son corps défendant le malheur et la dégradation de toute une vie, l’autre est tou- chée dans son corps par une grâce unique qui l’en préserve. Si ces deux films font programme, c’est en inversant complète- ment les thèmes qu’ils ont en commun. Le spectateur recon- naîtra-t-il le même paysage sous l’éclairage blanc, physique, de l’un et sous l’éclairage noir, métaphysique, de l’autre ? »
Alain Bergala4
« Le cinéma n’est décidément pas le langage universel des sens. Mais il inclut toujours la référence à ce langage qu’il n’est pas. Il n’est pas l’illustration imagée d’une intrigue de théâtre ou de roman. Mais il loge ses figures propres dans les schémas de leurs intrigues. Il compose ses tropes avec et contre ceux de la parole poétique. Le contrepied qui oppose les jambes dressées de Marie aux paroles affectueuses de sa mère définit une figure propre au cinéma, une combinaison/confrontation de la parole et du geste, du visible et du dicible, du sens et du non-sens que le théâtre ne permet pas. Mais son efficacité tient aussi à la manière dont la fuite ou l’insolence de Marie s’inscrit — et inscrit la puissance propre du cinéma — en tiers dans la longue histoire de la guerre des sexes que le théâtre a mise en forme. Et la réponse insolente des jambes bien droites aux paroles d’inquiétude reprend au profit de la petite chronique familiale la puissance des stichomythies tragiques. Marie/ Alice est aussi Marie/Electre.
Le dissensus cinématographique est donc plus que la confron- tation critique de la parole et de l’image. Il est le mode selon lequel le cinéma détache ses figures propres sur la grande nappe des histoires de famille ou de société et des métaphores de la querelle, de l’amour et de l’indifférence. Le contrepied que fait le « cinéma » de Marie aux paroles de la chronique familiale peut donc être rapproché de ces figures de détache- ment par lesquelles des cinéastes ont su accomplir, en les contrariant, les puissances du récit romanesque. »
Jacques Rancière5
- 1Alain Bergala, “The End of a Childhood”. Translated by Sis Matthé, as published in Pas de deux. The Cinema of Anne-Marie Miéville, compiled, edited and published by Sabzian, Courtisane and CINEMATEK.
- 2Jacques Rancière, “The Cinema of Marie”. Translated by Sis Matthé, as published in Pas de deux. The Cinema of Anne-Marie Miéville, compiled, edited and published by Sabzian, Courtisane and CINEMATEK.
- 3Il s’agit de Je vous salue, Marie. Les deux films ont été projetés ensemble lors de leur sortie en salle.
- 4Alain Bergala, « La fin d’une enfance ». Ce texte est inclus dans Pas de deux. Le cinéma de Anne-Marie Miéville, compilé, édité et publié par Sabzian, Courtisane et CINEMATEK.
- 5Jacques Rancière, « Le cinéma de Marie, ». Ce texte est inclus dans Pas de deux. Le cinéma de Anne-Marie Miéville, compilé, édité et publié par Sabzian, Courtisane et CINEMATEK.