Prénom Carmen

Prénom Carmen

« In memoriam small movies. Cette épithaphe qui clôt Prénom Carmen, il faut la prendre comme elle vient, rappel en notre mémoire d'un être qui n'est plus (le « petit film », bandes muettes qui ont rythmé les premiers temps, c'est-à-dire, métaphoriquement, le cinéma dans son état de jouvence), et référence qui va animer la composition même des séquences. Godard a en effet organisé Prénom Carmen comme une suite des petits films. Non tellement comme un entrecroisement de films parallèles, mais suivant la puissance d'evocation des deux vrais liens tenant le film entier, l'un culturel, les quatuors 9, 10, 14, 15 et 16 de Beethoven, l'autre naturel, la mer qui, depuis la première image jusqu'à la voix des personnages (la vraie voix de Carmen: c'est « le bruit de la mer avec »), encercle littéralement le film. Godard a fait un film comme on joue un quator ou on écoute la mer, en passant de l'un à l'autre, suivant sac et ressac, mais entre l'un et l'autre, entre sac et ressac, il a placé des « small movies ». La visite à Oncle Jeannot, le hold-up, le séjour à Trouville, le tournage-enlèvement dans le grand hôtel: les petits films de Godard possèdent une définition autonome qui, tout à la fois, fait leur beauté et, paradoxalement, confère au films un aspect « morceaux choisis ». Morceaux de Godard, lui-même directement aspiré dans le film, morceaux parmi lesquels on retiendra surtout la composition d'Oncle Jean, à l'hôpital comme au grand hôtel, manipulé par des terroristes déguisés en « professionels de la profession » autant que manipulant les images que ces « professionels » tentent de lui proposer (j'y verrais une transposition fictionelle du rapport entretu par Godard avec les médias dans les années 80), ainsi que la séquence, véritablement superbe, du hold-up, où JLG nous réapprend ce que sont les relations entre des corps jetés dans l'action, que celle-ci soit voler, tuer, mourir ou embrasser. »

Antoine de Baecque1

  • 1Antoine de Baecque in Tout Godard, Cahiers du Cinéma, numéro spécial Godard, trente ans depuis.
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