« Certes il récapitule avec minutie ses étapes personnelles: le passé juif de ses parents, les hasards helvétiques de sa naissance, les images de ce temps de bottes et de massacres, mais ces étapes lui échappent. Et la déconvenue finale est finalement burlesque, mais extrêmement émouvante. Comme ailleurs Gertrude Stein, il s’avère que chaque autobiographie est finalement l’autobiographie de tout le monde, que la représentation que chacun fait de soi-même est une fiction, bref que Boris Lehman n’existe pas. Et le plaisir du spectateur tient à cela, c’est que lui-même est comme sommé de replonger vers son enfance, de remonter à l’origine, tout en savourant le parcours indécis que fait de lieu en lieu Boris Lehman, de retrouver enfin la preuve joyeuse de sa propre inexistence. Je, d’évidence, est un autre. »
Hadelin Trinon1
« Erreur serait de voir en Lehman un obsédé du passé. Son cinéma s’est vidé de toute nostalgie, même quand il va sur la tombe de ses parents ou quand il affirme: « Il y a des lieux dont je me souviendrai toute ma vie. » Sa mise en scène travaille la frontalité, pas la résurgence incertaine et vaporeuse de souvenirs virant à l’onirisme. Méthodique, son expérience du monde est celle d’un encyclopédiste, plus intéressé par la reproduction et l’organisation du réel que par le magnétisme des fantômes qui nous entourent (dans tel lieu, dans telle photo). »
Matthieu Orléan
- 1Hadelin Trinon, “Boris Lehman n'existe pas”, www.borislehman.be.[/fn]
« Si on regarde certains de mes films, on peut y trouver de véritables scénarios. Par exemple À la recherche du lieu de ma naissance. Au départ il n’y a rien, strictement rien. Je pars en Suisse pour retrouver mon acte de naissance. Voilà le point de départ. Je sais, parce qu’on me l’a toujours dit, que je suis né à Lausanne, pendant la guerre, mais en réalité je n’en sais rien. Je n’y ai plus mis les pieds depuis près de quarante ans. Je fouille dans les affaires de mes parents, dans le peu de choses qui restent d’eux je trouve quelques lettres et documents, des photos... Ce sont des éléments qui vont servir de guide, de pièces à conviction. Je vais sur les lieux chercher les preuves de mon existence. [...]
Une carte postale trouvée à Lausanne figurant une skieuse nautique sur le lac, à Ouchy, me donne l’idée d’une scène à filmer pour À la recherche du lieu de ma naissance. Il me faudra un maillot rouge « comme sur la carte ». Puis viennent la skieuse, le bateau, l’enfant et le cahier où il est écrit « j’ai passé des vacances en Suisse » (phrase ironique puisque cela est censé se passer pendant la guerre!). Alors vient l’idée du cahier qui tombe dans l’eau, en même temps que la skieuse. Le scénario s’écrit petit à petit, le film se nourrit et s’unifie de tous ces éléments disparates. »
Boris Lehman
Boris Lehman, “La fin de mon – du – cinéma”, Trafic, September 2015.