Pianist Alfred Brendel performs the last sonatas of Franz Schubert and explains his vision of the work. Brendel is filmed either in wide shot, in profile, or in close-up, face to camera. It is not only a question of not distracting the listener, of not adding other content to the music, but also of revealing, through the sole power of the recording, how the music resonates in the body of its performer.
FR
« Le dispositif des Trois dernières sonates de Schubert contraste par sa simplicité avec celui des Trois strophes sur le nom de Paul Sacher, l'autre film de musique tourné par Chantal Akerman en 1989. Dans celui-ci, consacré à l'interprétation au violoncelle par Sonia Wieder-Atherton des trois pièces pour cet instrument écrites par Henri Dutilleux en hommage au grand chef d'orchestre, fondateur d'ensembles et mécène Paul Sacher, la scénographie évoque lointainement Fenêtre sur cour. Sous un éclairage accusé et dans un bain de vives couleurs contrastantes, on voit la musicienne entrer dans une vaste pièce délimitée au fond par un grand rideau rouge, prendre son instrument avant de s'asseoir face à nous et de commencer à jouer, tournant le dos à un bâtiment dont il ne nous est pas caché qu'il est un décor. À travers les fenêtres « d'en face », on voit dans des appartements mitoyens une femme, deux hommes, plus tard une autre femme, parfois seuls et le restant, d'autres fois ensemble, occupés à des activités domestiques ou intimes : repasser, se raser ou se coiffer, refuser le contact d'un amant, déambuler, rester en arrêt, se croiser... Les gestes sont stylisés, les mouvements ébauchent une chorégraphie, des actions commencent sans jamais se poursuivre. Au début et à la fin de ce film court (une dizaine de minutes), les appartements mitoyens (il s'agit peut-être seulement de pièces séparées) sont vides ou le redeviennent. Des mouvements de caméra rapprochent ou éloignent de la soliste, filmée selon différentes grosseurs de plans et indifférente durant l'exécution musicale des trois « strophes » à ce qui se trame dans son dos. On ne saisit pas nécessairement, si tant est qu'une disjonction complète n'ait pas été voulue par la réalisatrice, quelles correspondances se tissent entre l'interprétation des trois « strophes » et les fictions naissantes.
Dans les Trois dernières sonates de Schubert au contraire, Alfred Brendel apparaît d'emblée assis devant un piano et jouant, seul dans une pièce de vastes dimensions au plafond de verre translucide qui donne sur un dehors indistinct d'arbres, de feuillages et de bâtiments. Une lumière de jour gris, uniforme, régnera tout au long de l'heure que dure le film. Le tournage à deux caméras toujours fixes propose deux axes alternés. Un plan large majestueux et frontal est consacré presque toujours à Brendel vu de profil droit et jouant, plus rarement en train de répondre aux questions de Mildred Clary hors champ. L'autre axe, diagonal, le montre en plan rapproché ou en gros plan quand il développe ses analyses, mais aussi en train d'illustrer ses affirmations par des exemples musicaux joués, ses mains restant alors invisibles (jamais durant le film on ne les verra isolément). »
Jean Narboni1
« Devant la verrière d'un atelier, dans la clarté changeante du soleil d'hiver, un piano et... Alfred Brendel qui livre les fruits de ses recherches, de ses réflexions et surtout de son extrême sensibilité à propos des trois dernières sonates de Schubert. La réalisation sobre de Chantal Akerman recueille ce mystère, ce charme schubertien mêlé de désespoir que Brendel semble si bien connaître.
Après avoir joué le premier mouvement de la Sonate en ut mineur dont Akerman souligne la structure musicale (ABA) avec deux plans fixes, Alfred Brendel répond aux questions de Mildred Clary. Il évoque les différences entre Schubert et les classiques, aussi bien dans l'utilisation des motifs que dans la conception de la forme, ou les rapports du jeune compositeur avec Beethoven face à qui il sut garder indépendance et originalité, ce que ses contemporains ne comprirent pas. Brendel, toujours à fleur de peau, joue, explique, puis replonge à nouveau dans la musique.
L'érudition, le souci du détail n'entravent en rien la sensibilité musicale; au contraire, Brendel rend parfaitement cette "errance romantique" de Schubert et joue sa musique comme il la décrit, comme "un promeneur au bord du précipice". »
filmDOC2
- 1Jean Narboni, "Les Trois Dernières Sonates de Schubert," dans Chantal Akerman: Autoportrait en cinéaste (Paris: Éditions du Centre Georges Pompidou/Editions Cahiers du cinéma, 2004), 204-205.
- 2filmDOC, "Les Trois Dernières Sonates de Franz Schubert," film-documentaire.fr.