In 1984, not far away from the psychiatric hospital of the Martquis de Sade in Charenton, Thomas Harlan (the son of Veit Harlan) is shooting Wundkanal, a filmquestioning whose protagonist is Alfred Filbert, the ex Vice Commandant of the Nazi SS in person, who by then was over eighty years old. The criminal who invented "suicide by commission" is, in turn, "kidnapped" and interrogated by a group of terrorists in the fiction of the film, and by the film crew itself in the reality of the set. Faced with this extreme experience, Robert Kramer shoots a second movie on the same set, Unser Nazi. It is an explosive offscreen invasion of extraordinary force and drama that puts conflicts and contradictions on the scene that hitherto remained repressed or unspoken. It is not a "film on film", but a cruel stripping away - that does not spare anyone concerning what the right to judge implies.
“Notre Nazi montre ce qui échappe aux intentions du cinéaste Thomas Harlan. Nous suivons l’acharnement du fils Harlan contre la génération des pères nazis tout en découvrant des ressemblances étranges, en mille facettes. Nous lisons la consternation croissante sur les visages de l’équipe française, en gros plans, en très gros plans, nous l’entendons également dans leurs discussions au fur et à mesure que le tournage avance. Notre Nazi est rigoureusement mis en scène, et c’est d’ailleurs Robert Kramer lui-même qui, le premier, y joue cartes sur table, s’adressant de derrière sa caméra au vieux nazi : « Je m’intéresse pas vraiment à tous ces sujets dont vous discutez avec Monsieur Harlan. Ce sont des choses très spécifiques, c’est pour les spécialistes de cette période. Je crois que vous êtes coupable des plus grands crimes possibles ! »
Des années plus tard, Robert Kramer parlera de Notre Nazi comme l’un de ses films préférés. « Je ne pense pas qu’il ait grand-chose à voir avec le film de Thomas Harlan. C’est un film à propos de l’abîme qui sépare le Nouveau Monde de l’Europe. » Au moment du tournage, Kramer était installé en France depuis à peine 4 ans.
Le cinéaste travaille à en observer un autre et a trouvé la bonne distance pour le faire : une distance qui lui permet de poser un doute sur ce que peut le cinéma, sur l’essence même du septième art. Car malgré les apparences, malgré l’air fâché du vieux Filbert à la fin du film, nous apprenons que Filbert parlera de cette expérience de cinéma comme du plus grand moment de sa vie ! « Et ça, ça fait rêver… non ? » seront donc les derniers mots d’un documentaire qui dépasse en force la fiction dont il est le commentaire.”
Anke Zeugner1
“My film is perhaps another fiction: the story of a certain T., son of the greatest Nazi filmmaker, and himself a film director. All his life he has tried to undo his past. Today he is shooting a fiction film, he has given the main role to a Nazi war criminal who is more or less the same age. By this act T. releases a whole torrent of unforeseeable energy which sweeps the set and even more than the set.”
Robert Kramer2
“La violence et la tension devant la mise en échec d’Harlan son impossibilité de passer outre les moyens pour obtenir une fin : voir la culpabilité dans les paroles du nazi. Mais elle ne vient jamais, créant une situation tragique poussant à bout Harlan qui ne peut accepter l’absence de « rédemption » que la position toujours réitérée du nazi qui reste un nazi crée en lui. Un gouffre de désespoir s’ouvre devant le spectateur. Le témoignage bascule dans l’imprévu, l’action dans une situation de crise. Dans cette action qui se déroule et dont personne ne sait bien comment elle va finir, il y a un télescopage entre des manières de faire, un cinéma qui échoue avec Harlan et un cinéma qui naît avec Kramer. (...)
Cette posture éthique de Kramer est très proche de l’idée de Vladimir Jankélévitch, dans L’imprescriptible, qui énonce justement que personne ne peut pardonner à la place des victimes. Cette position intellectuelle défendue par le philosophe est d’une certaine manière déterminante ici : car là où, Harlan cherche à revenir sur les faits pour trouver une éventuelle réconciliation par le regret du bourreau ; Kramer a définitivement coupé court à cette attente impossible. « Il fait avec », si j’ose dire. Car sa caméra, ses films prennent en charge le passé tel qu’il est, sans chercher à le « re-jouer », mais plutôt en portant cette tragédie. Innervant sa pratique. Il y a donc comme un jeu de miroir entre les deux cinéastes. Les deux postures. Dans lequel une brèche a été entaillée. Entre deux positions, l’une conduisant à une impasse, éthique et cinématographique, l’autre, ouvrant sur une suite intégrant la rupture historique que représente l’existence des camps d’extermination. D’ailleurs, le terme « notre nazi » indique comme un mot d’esprit, un certain humour et aussi une « prise de possession » que nous pouvons comprendre comme le fait que le nazisme fait partie de notre histoire et de la nécessité à le prendre en charge. Ce nazi est comme la relique du passé, mais un passé sur lequel Kramer ne revient pas, il l’assume dans l’intégrité de sa pratique de faiseur d’images.”
Lucia Sagradini3
- 1Anke Zeugner, “KRAMER VS. GODARD: Deux films de cinéastes au travail au Cinéma du Réel 2019”, CinémaParis.
- 2“Figures of Dissent: Thomas Harlan,” Diagonal Thoughts, 3 February 2012.
- 3Lucia Sagradini, “Hybris, critique et sauvetage”, Multitudes 44, 2011.