La canta delle marane

← Part of the Collection: Cecilia Mangini
La canta delle marane
The Marshes’ Chant

A sensuous and vibrant vision of a group of boys who leave home barefoot and without breakfast to congregate by a marane – a small stream – in the Roman suburbs, forming a microcosmic society in which they scavenge for food, fight, swim and play. La canta delle marane constitutes the third collaboration between Mangini and Pier Paolo Pasolini. Filmed less than a five-minute walk from his first house in Rome, his scripted narration has resonances with his novel Ragazzi di vita (1955), an ode to “pre-political rebelliousness”, to a new generation disenfranchised by the post-war Italian party system. Yet the camera which lingers for a long time over these pre-pubescent boys’ limbs has something of Pasolini’s gaze too. As the physically disinhibited but not yet disenchanted boys of La Canta move between recreation and combat, Pasolini tells of what they will become: lone, petty criminals, often imprisoned, sometimes dead (Daniella Shreir).

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« L’adieu nostalgique au monde enchanté des marrane (fossés, marécages), lieux magiques pour les jeunes habitants des périphéries romaines. Un des chefs-d’œuvre du cinéma documentaire italien, accompagné par le texte poignant de Pier Paolo Pasolini, écrit en romanesco, le dialecte de Rome. Le film commence par un cri, un appel. C’est la deuxième rencontre de Cecilia Mangini avec les garçons des banlieues romaines, l’été, dans l’eau sale des étangs près du quartier Settecamini (à l’époque, c’était un peu comme le bout du monde) et au milieu des broussailles, des décharges, des cailloux. En évoquant les exploits d’une bande de gamins inarrêtables, entre rossées, petits larcins et chahut, la caméra suit les visages, les rituels, les mouvements et l’espièglerie de ceux qui seront les futurs ragazzi di vita. Cette réalité est déjà révolue. C’est désormais le souvenir de l’un des irréductibles protagonistes de cette bande, des anti-héros qui s’affirment dans la liberté du jeu, dans le soulagement de la violence, dans le défi lancé à la loi, dans la moquerie qui s’adresse à nous, les extraterrestres, les spectateurs qui ne pourront jamais les comprendre ni les accueillir. C’est un film tourné sous forme de poème, mis en musique par Egisto Macchi au rythme des plongées dans le marécage, et du commentaire de Pasolini, écrit à la première personne. »

Marina Mazzotti1

 

Anne-Violaine Houcke: Pourquoi êtes-vous retournée, trois ans plus tard, filmer les ragazzi ?

Cecilia Mangini: Je ne sais pas. C’est difficile de dire pourquoi j’ai voulu rendre cet hommage. Car là c’est vraiment un hommage à leur vitalité, à leur volonté de vivre, à leur capacité de s’opposer. Il se passe des choses en nous, des idées naissent, et peu à peu les idées s’agrègent, comme la naissance d’un enfant. Les cellules se multiplient, puis se distinguent les unes des autres, se diversifient. C’est ainsi que naissent des idées. Je ne me rappelle plus… Il y a beaucoup de documentaires auxquels nous avons pensé et que nous n’avons pas réalisés. Ce sont des idées mort-nées. Alors que l’idée de La canta delle marane est née, elle a grandi, et elle est devenue vitale, elle est devenue quelque chose.

Cecilia Mangini en conversation avec Anne-Violaine Houcke2

 

« Si Stendalì s’ouvrait sur l’itération inlassable des cloches, La canta delle marane s’ouvre sur un cri strident, sauvage, qui va crescendo, sur un plan du ciel en contre-plongée. La source en surgit soudain, par en bas : un gamin qui frappe sa bouche du plat de la main pour moduler son cri. Le chant des fossés est entré violemment dans l’image comme un retour du refoulé. Dans Ignoti alla città, le texte était à la troisième personne, en italien ; trois ans plus tard, Pasolini compose un texte original à la première personne, en romanesco, entrant dans la peau d’un ragazzo di vita. Il effectue ainsi cette « régression de l’auteur dans le milieu décrit, jusqu’à en assumer l’esprit linguistique le plus intime », dont il parlait à propos de Gadda dans un texte du 18 janvier 1958 : cette phrase, Pasolini la reprend à son propre propos quelques mois plus tard. Mais celui qui parle est un ragazzo devenu adulte, qui commenterait avec nostalgie les images d’un passé heureux. « Quel bon temps c’était, le temps des fossés… Quand j’y repense, il me semble que c’était hier, et pourtant, tant d’années ont passé, et j’m’en suis même pas aperçu », dit le texte vers la fin du film. Le commentaire de Pasolini instaure ainsi un jeu de réflexions entre la voix narrative et les ragazzi, jeu fait de proximité et de distance, d’identité – il fut l’un des leurs – et d’altérité – il ne l’est plus. Le texte déplace ainsi la fiction de La canta delle marane, en projetant les images dans un âge d’or révolu : âge d’or de l’enfance personnelle – les bords de l’Adige dans le Frioul, peut-être plus encore que la période des borgate romaines – mais aussi d’une Italie en train de disparaître, et que Pasolini cherchera ensuite dans le Sud, puis dans les pays du tiers-monde. »

Anne-Violaine Houcke3

  • 1La canta delle marane,” Tënk.
  • 2Anne-Violaine Houcke, « Pier Paolo Pasolini raconté par la documentariste Cecilia Mangini, » Centre Pompidou, 27 avril 2021.
  • 3Anne-Violaine Houcke, « Affinités électives entre Cecilia Mangini et Pier Paolo Pasolini, » Trafic, 89 (2014): 52-62.
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