Peaux de vaches

Peaux de vaches

Gerard and his wife Annie (Sandrine Bonnaire) have made a nice life for themselves on their farm. That life is disturbed by the arrival of Gerard’s older brother Roland (Jean-François Stévenin) – a brother Annie never knew existed.

 

Serge Daney: Microfilms, bonsoir ! (...) Donc, aujourd’hui, on va parler avec quelqu’un que vous ne connaissez pas et que je ne connais pas non plus, qui s’appelle Patricia Mazuy, qui vient de faire son premier long métrage, lequel s’appelle Peaux de vaches, qui va sortir bientôt. Et c’est un film tout à fait étonnant. C’est un film où il y a une poigne considérable, tenue du début à la fin avec beaucoup de cohérence, beaucoup de logique, beaucoup d’énergie.

Quand on a un acteur aussi étrange que Jean-François Stévenin, absolument inclassable parce qu’il peut quasiment tout jouer et qui peut être, comme il est magnifiquement dans votre film, très effrayant parce qu’il fait peur et parce qu’il a peur, presque les deux en même temps (il n’y a rien de plus effrayant que quelqu’un qui a peur et donc il devient très dangereux)... Cette dangerosité très « sentimentale » et en même temps très rude de Stévenin, est-ce que c’est venu avant le scénario ou est-ce que c’est lui qui...

Patricia Mazuy: Je voulais qu’il soit complètement différent de ce qu’il avait déjà été. Je voulais qu’il soit tendre, un peu autodestructeur... J’avais gambergé sur ce qui s’était passé avant, mais je prends les choses uniquement par moment, dans le cinéma, parce que c’est toujours que des moments de toute façon, après on fait les creux... On remplit les vides donc c’est le principe des ellipses sans arrêt.

Il y a une scène absolument extraordinaire qui est le retour de Stévenin. On a rarement vu aussi vite et aussi bien à la fois ce que c’est d’arriver là où on veut arriver et au moment où on y arrive, on reconnaît tout et on ne reconnaît rien, il suffit qu’il pleuve, qu’il y ait un mariage pour que l’espace soit changé, ce mélange entre les bagnoles, les tracteurs, la robe de mariée, la nuit de noce, la toile cirée... Tout ça arrive très vite et il y une vraie perception de ce que c’est que de revenir. (...) C’est l’une des plus belles scènes du point de vue de la mise en scène. (...) Je me suis rendu compte en voyant le film que s’il n’y avait pas de tracteur on ne saurait plus rien filmer à la campagne. D'abord un tracteur c’est très beau, ça fait un bruit épouvantable, ça fait très peur, c’est un des objets les plus cinégéniques qui existe. S’il n’y avait pas eu de tracteur, il n’y aurait pas eu de cinéma soviétique je crois.

De belles machines !

Ce grand tracteur, je crois qu’il est jaune hein ?

C’est une ensileuse ! Il y a une moissonneuse-batteuse, une ensileuse.

Je suis nul ! [Rires]

Serge Daney in conversation with Patricia Mazuy1

 

Serge Daney: Have you seen any films recently that gave you the feeling that we're seeing good, strong, unexpected things again?

Jacques Rivette: Yes, I've seen several. A film that impressed me... It was a film I wanted to see, so I was scared of being... I wanted to like it. It was Peaux de vaches by Patricia Mazuy. I wanted to like it simply because of the actors playing in it. I've never met her. I was moved by the film for a number of reasons. The relationship between people... From the start, you feel like the film is leading somewhere and the more it goes on, the better it gets, the more the relationships become both more intense and also more mysterious. And we suddenly come to a scene which I found extraordinary, so shattering I went to see it again the following week both for the pleasure and also to check on that scene and what happened and how it was filmed. The first time I almost had the feeling of those scenes that you dream, I often do that. I dream I'm in a cinema watching a film and seeing wonderful things but then I wake up and it's gone. But here, it was on screen, I hadn't dreamed it! It's Jean-François Stevenin's final scene... I can't remember the character's name. Like everyone else, I talk about films using the actors' names. Jean-François sets off on the road. That's the first shot of the scene. In the next shot, we see Sandrine Bonnaire running towards him. She catches him up, tries to stop him, and they carry on walking and talking for a while until they fall into each other's arms and kiss. And Jean-François turns to Bonnaire and says: ‘Bring the girl and come away with me.’ That's all one take, hand-held I think, fairly bumpy but following the movement. It looks good, the camera accompanies the characters. Suddenly, there's this close-up on Jean-François, which shocked me the first time I saw the film. Because it cuts into this wonderful long shot and shows him watching Bonnarie after asking her. It's a short shot, followed by a reverse angle close-up on Bonnaire who doesn't answer, she just looks at him. Then her face begins to move. She begins to move and we understand by her movement that she' going to him but he's no longer there. The camera continues following her from behind. We follow, the camera moves behind her, and we see Jean-François heading up the road, stopping a truck that's coming towards us and climbing aboard, all in this shot that started on her face. It all happened, from Jean-François' reaction to the fact she didn't reply and his leaving, all happened off camera, we only saw Bonnaire's face then her movement, and that's it, it's over, he's gone. It's virtually the last shot of the film. I thought it was a magical shot, very well filmed and at the same time it conveys emotion through the inventive use of the camera. You almost have to be a filmmaker to appreciate it. It was very simply done.”

Jacques Rivette, le veilleur (Claire Denis & Serge Daney, 1990)

 

André S. Labarthe: Bon, Patricia ce qui m’intéresse chez toi, par rapport aux cinéastes que je connais, c’est que tu es vraiment à part, déjà par les sujets que tu abordes en France. En France, d’habitude, les films sont tous parisiens, ou à peu près. Et ce que j’ai vu de toi...

Je sais que tu es fan de Clint Eastwood...

Patricia Mazuy: ... de John Ford aussi.

De John Ford aussi, donc c’est le western. Pourquoi ?

(...) Les mauvais westerns sont ceux qui ne sont que de l’action. Je veux dire, les plus beaux westerns, ce qui les structure, c’est pas les moments d’arme à feu, c’est les moments de vide entre. Enfin, je trouve. Qu’est-ce que t’en penses ?

Oui, oui, en tout cas, chez Ford c’est frappant parce qu’il a un sens de la durée formidable. C’est peut-être celui qui l’a le plus.

Oui, chez Ford c’est ça, c’est exactement ça. Mais chez Eastwood aussi. (...) Y a des westerns de Budd Boetticher où il y a quatre acteurs et deux chevaux pour tout le monde, et ça te raconte une histoire magnifique. Et ils peuvent le faire parce qu’ils sont deux chevaux, quatre acteurs, c’est un peu une mascarade, mais ils vont droit au but de l’histoire.

André S. Labarthe in conversation with Patricia Mazuy2

  • 1Serge Daney, “Microfilms,” France Culture, 29 January, 1989.
  • 2André S. Labarthe, “Le bon plaisir,” France Culture, 14 May, 1994.
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