A Time to Love and a Time to Die

A Time to Love and a Time to Die

“J’adore les autruches. Ce sont des gens réalistes, ils ne croient que ce qu’ils voient. Quant tout va mal et que le monde devient trop laid, elles n’ont qu’à fermer très fort les yeux pour que l’univers extérieur soit purement et simplement anéanti comme le prince par la tendresse de la petite blanchisseuse dans la chanson de Renoir. Bref, les autruches sont des animaux complètement idiots et complètement charmants. Et si j ’aime 'Le diable au corps', c'est parce qu’il raconte l’histoire de deux autruches. Et si j ’aime aussi Le Temps d'aimer et le temps de mourir, c'est évidemment parce qu’il ne ressemble pas au triste film d’Autant- Lara, mais au roman de ce drôle de Radiguet. Et d’ailleurs, en fin de compte, pourquoi est-ce que j’aime tellement Raymond Radiguet? Uniquement parce qu’il ne savait pas qu’il était myope, et qu’il croyait que le monde entier voyait tout trouble comme lui, jusqu’au jour où Cocteau lui passa une paire de lunettes. On devine donc que je vais faire une critique follement élogieuse du nouveau Douglas Sirk, uniquement parce que ce film m’a mis les joues en feu. Pour être élogieux, ça je vais l’être. Et d’abord, je vais me référer sans arrêt à tout ce à quoi fait penser le roman de Radiguet, au Pauvre amour de Griffith, car je trouve qu’on devrait citer Griffith dans n’importe quel article sur le cinéma: tout le monde est d'accord, mais tout le monde l’oublie quand même; Griffith donc, et André Bazin aussi, pour les mêmes raisons: et maintenant que c’est fait, je reprends le fil de mes comparaisons à propos du Temps d'aimer et le temps de mourir, et ici, je stoppe un instant pour dire qu’après Le Plaisir [de Max Ophüls] c'est le plus beau titre de toute l’histoire du cinématographe parlant et muet [...].”

Jean-Luc Godard1

  • 1Jean-Luc Godard, Cahiers du Cinéma, n° 94, avril 1959.
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